Association du Quartier des Teinturiers - Avignon

Café littéraire saison 2011-2012

Cycle Romans Policiers

"Les Orpailleurs" de Thierry Jonquet – Gallimard, 1993 - (Café littéraire du 14 septembre 2011)

Quinze participants à ce café littéraire de rentrée, bienvenue aux nouvelles et aux nouveaux et merci aux propriétaires du "Rendez-Vous" pour leur accueil et leur participation.

"Lignes Noires", librairie consacrée au polar et au roman noir, est ouverte depuis ce printemps au 1 rue Pasteur à Avignon. Son propriétaire, Mohamed Benabed, donnait jeudi dernier une conférence consacrée au roman policier, dont Sylvie nous a fait un bref résumé.

Le moins que l'on puisse dire est que le roman de Thierry Jonquet n'a pas fait l'unanimité ! Invraisemblances, hasards téléphonés, grosses ficelles, intrigue tirée par les cheveux... Ce roman (qui a donné naissance aux deux personnages principaux de la série télé "Boulevard du Palais") n'est certainement pas le meilleur Jonquet, et si quelques-uns y ont vu un vrai polar, avec des flics, une enquête et des cadavres (parfois un peu trop sanguinolents...), la plupart l'a trouvé trop long et mal construit. Style sans personnalité, fin bâclée et prévisible, rythme brouillon et parfois trop accéléré, évènements secondaires inutiles (pourquoi la fausse piste de la viande polonaise avariée ?), personnages sans épaisseur, sauf évidemment la juge Nadia Lintz et le vieux Isy Szaleman dont la mise au premier plan laisse très vite deviner le rôle.

Le seul suspense tient dans la signification du titre, et il faut attendre les toutes dernières pages pour apprendre de quels orpailleurs il s'agit, et se retrouver une fois de plus à Auschwitz-Birkenau face à une horreur humaine que la fin de la guerre et des camps n'a pas éradiquée.

"Le Faucon maltais" de Dashiell Hammett

"Le Faucon maltais" de Dashiell Hammett – The Maltese Falcon, Knopf, New-York, 1930. Publié initialement en feuilleton (4 épisodes), revue "Black Mask" de septembre 1929 à janvier 1930. Publié en français sous le titre "Le Faucon de Malte" – Gallimard 1936. La traduction de 1950 est disponible en Folio Policier. Une nouvelle traduction ("Le Faucon maltais") a été publiée en 2009 au sein du volume consacré à Dashiell Hammett dans la collection Quarto Gallimard (Cinq romans + biographie et appareil critique très complet). Nous étions douze apôtres lecteurs et nous avons eu le plaisir d’accueillir Mohamed Benabed de la librairie "Lignes Noires" (rue Pasteur, Avignon), dont la connaissance du polar et du roman noir – et en particulier des auteurs états-uniens des années 30, Hammett, Chandler, Mc Coy, etc. - nous a permis de mieux comprendre et mieux apprécier notre oiseau. Le débat fut riche autour de cet archétype du roman noir, que d’aucun(e)s ont jugé trop daté, plein de poncifs et pauvre littérairement, la traduction de 1950 n’y étant sans doute pas pour rien ; les heureux lecteurs de la nouvelle traduction (2009) ont au contraire apprécié le style "au rasoir", efficace et rythmé comme un air de jazz. La place prépondérante laissée aux dialogues, les descriptions détaillées (parfois jusqu’à la lourdeur), les chapitres courts, les rebondissements et le découpage de type feuilleton se prêtent à l’adaptation cinématographique (il y en a eu trois). On se souvient surtout de la version réalisée en 1941 par John Huston, chef d’oeuvre incontournable au point qu’il devient difficile de lire le roman sans "voir" Humphrey Bogart, Mary Astor et Peter Lorre ! Le cinéma destructeur de l’imaginaire littéraire ? Vaut-il mieux lire le roman avant d’aller voir le film ? Beaucoup – principalement des lectrices – ont jugé les personnages trop caricaturaux, Sam Spade en héros viril et infaillible (qui pourtant encaisse pas mal de coups), les femmes en pin-ups des années trente au physique hollywoodien... et pourtant ni Effie (la secrétaire de Spade) ni Brigitte ne sont en définitive des potiches, cette dernière manipule même tout le monde, y compris notre grand détective. Et c’est sans doute là que réside le côté précurseur de Dashiell Hammett : pour la première fois dans l’Amérique puritaine apparaissent au grand jour femmes fatales et homosexuels ; une sorte de dimension sociale se fait jour à travers le décor de la rue ; pas de psychologie, mais des cadavres dès les premières pages ; l’intrigue relativement mince est moins importante que l’atmosphère qui s’installe dès les premières lignes : lieux, objets, personnages, soigneusement et répétitivement décrits. La cigarette et le jeu de sourcils de Bogart sont en fait des rites, le cynisme plein d’humour de Spade est le reflet de l’immoralité du monde. L’homme est écartelé entre l’enquête et le mystère, entre l’inconnu et l’interdit, entre la justice et le pouvoir, entre angoisse spirituelle et fascination pour la mort. Rêve ou cauchemar ? À chacun de voir.

"Total Khéops" de Jean-Claude Izzo – Gallimard, 1995

11 participants, et cette fois quasi-unanimité autour de ce premier volume de la trilogie fondatrice du "polar marseillais", dont Fabio Montale est le héros – ou l'anti-héros selon les points de vue (les deux autres volumes sont "Chourmo" et "Soléa"). Ce qui frappe en premier lieu est l'humanité des protagonistes, ni totalement bons ni totalement mauvais : Fabio est passé de mauvais garçon à flic et reste "craquant"... même s'il boit un peu trop ! Les figures de femmes sont totalement attachantes, en particulier Leila, beurette qui "s'en sort" grâce aux études et victime du racisme le plus stupide, dont l'assassinat est le tournant du récit. Le regard de J. C. Izzo sur celles et ceux qui ont eu moins de chance que nous dans la vie, son empathie pour les gens simples remuent les consciences, et se retrouvent dans "sa" Marseille, personnage à part entière du roman. Grande ville cosmopolite, carrefour de cultures, "melting pot" à la fois riche de sa diversité et miné par le racisme, l'intégrisme et le banditisme. On est loin des clichés à la Pagnol ou à la "french connexion", et la différence de qualité de vie entre les calanques – aujourd'hui très haut standing – et les quartiers nord est dépeinte sans ambiguïté. Cuisine provençale (ah, les poissons pêchés par Fabio et mitonnés par Honorine !) et boissons diverses, du Bandol au Lagavulin, donnent chair au récit – on pense à Montalban et à son Pepe Carvalho. S'y ajoute la musique, omniprésente et variée, chaque personnage a la sienne, rock, rap, jazz ou latino, qui renforce encore le goût pour la diversité éthnique et culturelle. Enfin un dernier mot sur le style d'Izzo que tous les lecteurs ont apprécié : phrases courtes, concision et précision, qui contribuent fortement et pour ainsi dire physiquement au rythme haletant de cet excellent polar.

"Pourquoi moi ?" de Donald Westlake – 1983

"Pourquoi moi ?" de Donald Westlake – 1983 – première traduction en 1984 ("Ça n'arrive qu'à moi", Gallimard) et traduction complétée en 2006 (éd. Payot & Rivages). Est-ce parce que nous étions 13 autour de la table que le débat fut si animé ? Toujours est-il que la "légèreté" de Donald Westlake fut appréciée du plus grand nombre. Initiation au second degré, éclat de rire général, humour absurde et personnages caricaturaux font penser à une bande dessinée et à un film d'animation, "Triplettes de Belleville" ou "Pieds nickelés", où même les gros bandits ne font pas peur. L'écriture très dialoguée et alerte donne au récit un rythme vif, qui colle parfaitement avec l'esprit new-yorkais, et le gag récurrent du téléphone est d'autant plus irrésistible qu'il montre combien l'histoire est construite. Une minorité a reproché à Westlake son utilisation systématique du comique de répétition, son abus de "trucs" narratifs et de grosses ficelles, qui le rendent plus proche de Chester Himes que de Raymond Chandler, d'autant plus que quelques défauts de traduction en alourdissent le style. Westlake, dont la production est diverse et prolifique, a fait mieux, notamment avec "Le Couperet", dont Costa-Gavras a tiré en 2004 un excellent film. Alors "Pourquoi moi ?" vite lu, vite oublié ? "Ce roman ne m'a pas nourrie" a déclaré l'une d'entre nous. Est-ce parce qu'il n'y a ni sang ni cadavres ?

"L'Homme à l'envers" de Fred Vargas – 1999 – éd. Viviane Hamy.

16 présents - dont 5 nouveaux à qui nous souhaitons la bienvenue, et une nouvelle fois des impressions de lecture très diverses. L'unanimité n'est pas notre règle, et c'est tant mieux.

Tous n'avaient pas lu "L'Homme à l'envers", mais tous connaissaient Fred Vargas et ont admis qu'elle avait renouvelé le roman policier : style soigné et élégant, utilisant le leit-motiv et les métaphores poétiques ; un côté scientifique dû sans doute à son métier de chercheuse en archéologie (CNRS) ; un grand souci du décor, ici le Mercantour qu'elle nous donne envie de parcourir ; une intrigue avec un vrai suspense qui "fout la pétoche", avec du sang et des cadavres, mais sans jamais être glauque ni sordide. Enfin des personnages consistants et originaux (ici un loup-garou !), qui font se rencontrer le merveilleux des contes africains (Soliman, son dictionnaire et les crocodiles du marigot), la tradition des bergers alpins (le Veilleux et son vin piégeux), la rationalité du scientifique (Lawrence et sa connaissance des loups), le classique flic abîmé par la vie (Adamsberg), et bien d'autres, dont bien sûr Camille, l'héroïne à la fois fragile et solide. Le poncif et l'inattendu se côtoient.

Pour beaucoup, ce n'est pas "le meilleur Vargas", joli sans être mièvre, mais manque d'humour et de délire. Le commissaire Adamsberg y est un peu fade, il entre dans l'action comme un cheveu sur la soupe, son apparition transforme les autres personnages en marionnettes, et son intrigue amoureuse avec Camille semble bien artificielle (malgré une belle scène de retrouvailles à la Barthelasse), juste une ficelle littéraire pour faire le lien avec les épisodes précédents . Les invraisemblances sont nombreuses et la multiplication d'intrigues secondaires (agression de Camille par des motards, punkette qui veut descendre Adamsberg...) nuit à la cohérence du récit. Beaucoup de
déceptions, donc.

Notre réunion s'est terminée par un débat sur le roman noir / policier en général, ses codes, ses archétypes, sa misogynie, ses origines liées au feuilleton et à l'invention de la photographie - ce qui le rend si facilement adaptable au cinéma. Nous avons regretté l'absence de Mohamed, libraire spécialiste du polar (Lignes noires, rue Pasteur),
dont les remarques pertinentes sont toujours fort instructives.

"Les mers du Sud" de Manuel Vasquez Montalban – 1979 – Christian Bourgois 1999 éditeur pour la traduction française - (Café littéraire du 22 février 2012)

15 présents, qui tous avaient au moins entendu parler de Montalban ou de Pepe Carvalho, et qui avaient (presque) tous lu "Les Mers du Sud".

Comme d'habitude, les avis étaient variés, mais personne n'était "totalement pour" ou "totalement contre". Nous nous sommes donc retrouvés autour de critiques mi-négatives, mi-positives.

Montalban, inventeur du polar méditerranéen à forte connotation culinaire et maintes fois imité, en a agacé plus d'un(e) par son côté "touche à tout" qui cherche à plaire à tout le monde. Il n'a en outre pas su éviter les clichés du polar – héros superman séducteur macho tourmenté et nonchalant, femmes-objets, apologie de la prostitution et sexe débridé, consommation invraisemblable de boissons alcoolisés – et, contrairement à Izzo avec Fabio Montale, a fait de son Pepe Carvalho un véritable fonds de commerce (plusieurs dizaines d'épisodes). Trop de stéréotypes et de complaisance.

À son crédit, l'évocation forte de Barcelone, avec ses odeurs, ses quartiers, ses petits métiers et sa "faune", et surtout l'atmosphère bien particulière de l'immédiat après-franquisme (Franco est mort en 1975, et "Les Mers du Sud" date de 1979) : affairisme en particulier dans l'immobilier, traumatismes datant de la guerre civile et de la dictature, nostalgie de l'ancien régime pour certains et espoir en un avenir meilleur pour d'autres, société qui se cherche et relâchement des moeurs ; on pense évidemment aux débuts de la "Movida".


Le récit lui-même, construit comme un scénario de film où chaque étape sert de prétexte à l'entrée dans un nouveau milieu, de la plus haute bourgeoisie au quartier ouvrier sinistré de San Magin, souffre de nombreuses incohérences et d'une fin bâclée. L'intrigue est molle et inconsistante, les dialogues sont souvent approximatifs et peu clairs, certaines scènes sont jugées inutiles et trop longues, on a parlé de remplissage et de superficialité. De plus, la signification symbolique du titre a échappé à plusieurs d'entre nous.

Et si quelques chapitres sont émaillés de fulgurances proches du surréalisme catalan, l'ensemble laisse une impression de malaise, un dégoût de l'humanité en général, où seul le petit chien mérite qu'on s'y attache, où l'enfant issu de l'improbable union du richissime promoteur véreux et de la militante ouvrière, seul porteur d'avenir, est promis à une existence pour le moins conflictuelle.

Et puis, il est difficile pour des lecteurs passionnés d'aimer un personnage qui brûle ses livres !

"Le Vol des Cigognes" de Jean-Christophe Grangé - (Café littéraire du 21 mars)

17 participants, que "Le Vol des Cigognes" est loin d'avoir laissés indifférents ! Première remarque : ce thriller est inclassable, tant les archétypes habituels du roman noir y sont détournés, voire carrément absents. Peu de sexe (ou alors avec une femme-soldat qui ne ressemble guère aux habituelles poupées Barbie), le héros ne boit pas d'alcool et préfère le thé, n'est ni flic ni détective. Ces archétypes doivent finalement être rassurants, puisque les mêmes qui les critiquent ont été désorientés par leur absence... Mais notre universitaire se transforme vite en Indiana Jones, voire en James Bond ; invraisemblance ou quête initiatique ? Ancien journaliste d'investigation – style alerte et vif, descriptions précises et évocatrices, phrases courtes qui vont droit au but -,Jean-Christophe Grangé nous entraîne dans une hallucinante plongée au fond de l'enfer des damnés de la terre, des richissimes rives du lac de Genève à Calcutta, en passant par les Balkans, la Palestine et le Centre-Afrique de Bokassa. Les morceaux de bravoure ne manquent pas, même si "trop d'intrigues tue l'intrigue". Trafic d'organes à travers une ONG suspecte, opérations sans anesthésie sur des roms, des pygmées, des enfants pauvres de Calcutta dans le seul but d'approvisionner en chair fraîche des occidentaux malades et vieillissants : faut-il y voir du racisme, ou au contraire la dénonciation de l'impitoyable domination post-coloniale ? Ce récit nous tient en tous cas en haleine, et cette belle machinerie où s'imbriquent des scènes et des rencontres parfois difficilement crédibles donne à réfléchir sur ce dont l'homme est capable. Derrière des apparences lisses et respectables (la Suisse, le lac Léman, les ONG, le corps médical), se cachent parfois des monstres. Et si l'itinéraire migratoire des cigognes indique aussi bien le chemin de l'enquête qu'une sorte de force tranquille qui fait contraste avec l'avidité sanguinaire des hommes, les clés de ce passionnant roman sont peut-être à chercher dans le nom du héros (Antioche, ville emblématique de la folie meurtrière des Croisades), et dans le sujet de sa thèse universitaire : Oswald Spengler, auteur du "Déclin de l'Occident" (publié en 1918), grand admirateur de Mussolini et romancier-culte des nazis, opposant à la République de Weimar et adversaire de la Démocratie et des Droits de l'Homme...

"Mort d'une Héroïne rouge" de Qiu Xiaolong – 2000 – éd. Liana Levi - (Café littéraire du 18 avril)

12 présents, qui n'avaient pas tous terminé la lecture de ce polar de Shangai.

Il est vrai qu'on ne rentre pas forcément de suite dans ce récit qui prend son temps : lente progression de l'enquête ; méticulosité des « camarades inspecteurs », qui frôle parfois l'amateurisme et la pusillanimité ; nombreusesPresse2012 04 21 références littéraires obscures pour qui n'est pas familier de la culture chinoise ; le tout parsemé de poèmes qui nous semblent parfois bien naïfs. Mais, de petites scènes diverses et multiples en figures secondaires et éphémères, se construit une atmosphère dense et sans lourdeur, ces personnages qui boivent surtout du thé et ne tombent pas une pin-up toutes les trois pages sont finalement très humains et attachants malgré leurs imperfections.

Ce récit, écrit en anglais aux États-Unis par un chinois pétri de culture anglo-américaine et qui a quitté définitivement son pays après les événements de Tian'anmen (1989), est en fait de facture très classique : un cadavre et une enquête policière qui sert de prétexte à décrire et dénoncer une société corrompue et décadente (on pense à Simenon) ; un flic désavoué par sa hiérarchie ; l'importance du corps féminin, aussi bien dans les relations amoureuses de nos héros que la victime et les photos qui constituent le fil rouge du récit... sans oublier la gastronomie de la Chine du sud.

Voilà pour le côté « polar occidental ». Mais les photos pornos étaient cachées derrière le portrait de Deng Xiaoping – magnifique clin d'oeil !-, et tout ceci se passe sur fond de société chinoise en pleine mutation, encore imprégnée de socialisme totalitaire hérité du maoïsme et déjà en route vers une économie de marché matérialiste, individualiste et où le fric est la seule valeur. L'originalité et la richesse du récit de Qiu Xiaolong se trouvent incontestablement dans une excellente représentation de la Chine, sur les plans géographique, historique et culturel, et dans une méticuleuse mise en scène des ressorts d'un système totalitaire : luttes de pouvoir à l'intérieur du Parti, multiplication des organes de contrôle et opacité des hiérarchies, soupçon généralisé, précarité des situations et arbitraire des décisions.

Un roman aussi critique de la société et du pouvoir aurait-il pu être écrit et publié en Chine ?

« Mort au premier Tour » de Didier Daeninckx – 1997 (première mouture non rééditée 1982) - éditions Denoël - (Café littéraire du 23 mai)

11 présents, et peu de passion autour de ce premier roman de Didier Daenincks, figure de proue du « néo-polar » - avec Patrick Manchette, Frédéric H. Fajardie, Thierry Jonquet, Jean-Bernard Pouy et quelques autres -, écrit une première fois en 1982 et réécrit 15 ans plus tard, certains se demandent bien pourquoi.

Qualifié de « mignonnement vieillot », « Mort au premier tour » date non seulement par le style, tellement classique qu'il en devient plat malgré quelques trop rares pointes d'humour (en particulier dans les titres de chapitres), mais aussi par son ancrage dans le contexte des années soixante-dix : écolos chevelus et communautés aux mœurs libérées, lutte contre le nucléaire et en particulier la construction de la centrale de Fessenheim - dont l'arrêt est aujourd'hui à l'ordre du jour ! -, rédacteurs de journaux contestataires, survivants des soviets alsaciens de novembre 1918, flics des RG à la tête de publications gauchistes...
Daenincks est en plein dans sa période militante, et, si la fin de l'enquête est un peu précipitée, on pouvait s'attendre à ce que le coupable soit forcément un notable de droite pédophile. Manichéen et trop facile.

En revanche, l'Alsace, ses particularismes et la difficulté pour un français « de l'intérieur » de s'y intégrer, sont rendus avec beaucoup de réalisme ; Strasbourg est décrite dans ses aspects contrastés, à la fois carte postale, capitale gastronomique et ville industrielle sinistrée (bassins portuaires et entrepôts désertés, mines de potasse désaffectées, etc.) ; de nombreuses anecdotes (Klapperstei, Aubette et Hans Arp, noms propres traduits de l'allemand, etc.) montrent que Didier Daeninckx s'est méticuleusement documenté et connaît bien son terrain.
Le quotidien et la routine d'un commissariat, le lent et méthodique déroulement d'une enquête qui ne laisse guère de place aux états d'âme, font de l'inspecteur Cadin une sorte d'anti-héros, à la fois fade et attachant.

Mais tout cela suffit-il à faire une œuvre littéraire ?

"La Mémoire courte" de Louis-Ferdinand Despreez – éd. Phébus, Paris 2006 - (Café littéraire du 27 juin)

Nous étions quasiment au complet (une vingtaine) pour cette dernière séance de notre cycle « polars et romans noirs », où nous avons eu le plaisir d'accueillir Émilie, bibliothécaire à Sorgues, qui projette d'y démarrer un café littéraire en septembre.

Louis-Ferdinand Despreez, pseudonyme qui protège un auteur mystérieux dont la biographie est peu claire, est citoyen sud-africain et écrit en français, ce qui nous a permis d'apprécier un style percutant, où alternent avec bonheur phrases courtes et phrases longues, dialogues et descriptions.

« La Mémoire courte », titre qui rappelle le mot tristement célèbre du maréchal Pétain (« Français, vous avez la mémoire courte ») et se rapporte ici à la réconciliation post-apartheid, a fait l'unanimité. Ce récit contient tous les ingrédients classiques du roman noir : meurtres (combats de boxe à mort, moyen de « tuer du nègre » tels de nouveaux gladiateurs), sexe sordide, monde pourri et impitoyable au milieu duquel se débat un flic intègre, opiniâtre et désabusé – le capitaine Zondi, policier africain, sympathique et attachant, qui n'a peur de rien et domine toujours la situation, et qui, contrairement à l'archétype du polar, ne boit pas, ne mange pas... et ne baise pas (sauf sa très discrète compagne). Avec en prime l'Afrique du Sud et l'apartheid, dont la fin ne signifie pas la disparition des inégalités – ça prendra du temps ! - et dont les conséquences sont encore bien présentes, autant dans l'arrogance des blancs que dans l'arriération de certains noirs.

Despreez a su éviter tout manichéisme, les noirs ne sont pas tous parfaits, y compris les militants de l'ANC proches de Mandela, et les blancs ne sont pas tous ignobles ; ce « dosage racial » rend bien compte du bouillonnement de la « nation arc-en-ciel », même si l'utilisation d'un vocabulaire métissé contraint trop souvent le lecteur à se référer aux notes explicatives malencontreusement regroupées dans les dernières pages. Mais notre auteur ne manque pas d'humour, la description de la profileuse est particulièrement savoureuse et valorise l'efficacité de Zondi, redoutable interrogateur.

Et, pour effacer « le sentiment d'être descendu encore un peu plus bas dans les abysses de la méchanceté humaine », cette belle soirée d'été s'est terminée sous les platanes de la rue des Teinturiers autour d'un sympathique repas préparé par Amandine et Swann.

Presse2012 05 27

Date de dernière mise à jour : 07/05/2017