Association du Quartier des Teinturiers - Avignon

Café littéraire saison 2013-2014

Cycle Ecrivains d'Europe Centrale et Orientale

«Le Pont sur la Drina» de Ivo Andric – 1945 – trad. française Belfond 1994 - (Café littéraire du 11 septembre)

14 présents pour cette réunion de rentrée ; bienvenue aux trois nouvelles.

Malgré quelques difficultés avec les noms de lieux et avec l'histoire complexe des Balkans – merci à celles et ceux qui ont éclairé notre lecture par l'envoi de cartes et d'articles -, « Le Pont sur la Drina » fut une belle découverte pour la plupart d'entre nous.

Avec une force d'écriture à la hauteur de la force des événements, Ivo Andric entrelace finement grande Histoire et histoires privées de ses héros, tous attachants. « L'incomparable clarté de son style, sobre et lapidaire, évoque la longue tradition orale de la poésie populaire et des légendes de son pays » (extrait de la postface).

C'est une société millénaire qui se transforme peu à peu : à travers l'annexion de la Bosnie par l'Autriche-Hongrie, on assiste au passage de la nonchalance ottomane tolérante et presque immobile à un style de vie « moderne » et bruyant, basé sur l'ordre, l'autorité et la consommation, on voit naître ce qu'on nommera plus tard la mondialisation.

Trois empires et trois religions se rencontrent dans cette « poudrière des Balkans » : bosniaques musulmans ottomans, serbes orthodoxes slaves et croates catholiques proches de l'Autriche. Une telle richesse ethnique ouvre la scène à un foisonnement de personnages d'origines diverses, plus hauts en couleurs les uns que les autres, avec une mention particulière pour la juive Lotika. Mais l'auteur nous montre aussi par quels mécanismes pervers le lien social se délite, comment des individus passent d'un vivre-ensemble joyeux au nationalisme meurtrier.

Les tensions propres à cette région d'Europe où l'Orient et l'Occident se mêlent sont loin d'avoir disparu. Le récit d'Ivo Andric s'arrête en 1914 au moment de l'attentat de Sarajevo, a été écrit à la fin de la deuxième guerre mondiale qui a embrasé la région, et semble bien prophétique quand on pense aux tragiques événements des années 90.

Le passé aide parfois à mieux comprendre le présent, et le Pont, personnage central du récit, prend ici tout son sens de lien entre les lieux, les hommes et les cultures. Nous savons, à Avignon, que la valeur d'un pont est symbolique bien avant d'être économique !

«Avril brisé» d'Ismaïl Kadaré – 1978 – trad. française Arthème Fayard 1982 - (Café littéraire du 16 octobre)

Est-ce la crainte d'être la victime d'une vendetta albanaise ? Nous n'étions que 9, dont certain(e)s ont déclaré avoir mal dormi après la lecture d' « Avril brisé » !

Il faut dire que ce devoir de « reprendre le sang », sorte de vendetta séculaire où chaque meurtre appelle automatiquement le suivant, jusqu'à extinction de la famille entière, a de quoi effrayer et indigner. On pense bien sûr au « Colomba » de Mérimée, en plus noir. D'autant plus que cette pratique vengeresse et meurtrière est codifiée de manière extrêmement précise par le « Kanun », où devoirs de mort et d'hospitalité sont étroitement mêlés, qu'elle donne lieu à un véritable business du sang au profit des finances locales, qu'elle semble ne jamais devoir finir et dure encore aujourd'hui dans certains coins reculés d'une Albanie totalement fermée au monde pendant des décennies et qui commence à peine à s'ouvrir à l'Europe et à la modernité.

Cette Albanie des hauts-plateaux est merveilleusement décrite par Kadaré, dans un beau style classique, concis et précis, où se côtoient fulgurances poétiques et un sens du fantastique typiquement « carpatho-balkanique ». Il plante un décor sombre fait de landes inhospitalières, de montagnes et de forêts impénétrables, de tours et de châteaux mystérieux, d'auberges perdues et propices aux rencontres lourdes de signification, le tout à l'ombre d'une administration kafkaïenne. Le personnage de « l'intendant du sang », chargé de percevoir les taxes afférentes à ce système mortifère, est particulièrement emblématique et inquiétant dans la mesure où il incarne l'ambiguïté du double souci de la sauvegarde de l'identité culturelle et des revenus financiers. Le conservatisme féodal est ici plus important que la vie humaine. Doit-on y voir le fait que les slaves ne donneraient pas la même importance que nous à la vie ? Où plutôt un sentiment aigu du tragique hérité de la Grèce voisine ?

Au milieu de ce terrible environnement circule un jeune couple d'universitaires venant de la capitale Tirana : rencontre entre deux mondes étrangers, la ville éclairée et cultivée, et le monde rural emprisonné dans la tradition ; magnifique construction autour de la rencontre amoureuse qui n'arrive pas mais constitue la clé de tout le récit. En effet, si Bessian, complètement aveuglé et abêti par ses recherches ethno-sociologiques sur les montagnards albanais qu'il voit comme des animaux exotiques, passe à côté de l'essentiel et ne comprend rien à ce qui trouble sa jeune épouse, celle-ci - Diane – est profondément émue par le sort fatal réservé à Gjorg qui vient de venger la mort de son frère et qui attend à son tour le châtiment mortel. Au point de faire trembler tout l'édifice social en transgressant la loi du Kanun, en pénétrant dans la « tour de claustration » à la recherche de Gjorg, qu'elle ne rencontrera jamais.

Magnifique personnage de Diane, qui ne trouve son pendant que dans la seule autre figure féminine du roman, omniprésente : la mort.

«Le Pingouin» d'Andreï Kourkov – 1996 – trad. française Liana Lévi 2000

Nous étions une douzaine pour ce troisième café littéraire consacré à la littérature des anciens pays de l'est. Parmi nous deux nouvelles, Françoise et Rachel, à qui nous souhaitons la bienvenue.

Écriture rapide et phrases courtes, léger et facile à lire, description humoristique de l'Ukraine post-soviétique, et malgré cela une profonde impression de malaise. Comme dans certains romans de science-fiction (Lovecraft, Bradbury, etc.), l'inquiétude s'installe progressivement – les bons lecteurs l'ont déjà perçue dès les premières phrases du récit.

Nous sommes plongés dans un univers étrange, où il semble normal d'adopter un pingouin et d'être payé très cher pour l'emmener à de mystérieux enterrements, où les notices nécrologiques sont rédigées avant la mort des personnes concernées, où les disparitions suspectes et les cadavres se multiplient, où les datchas sont piégées, où les armes circulent sans contrôle...

Avec beaucoup d'humour (noir), Andreï Kourkov décrit un monde déstructuré et sans avenir (on pense au « no future » des punks), où tout peut arriver à n'importe quel moment. Son récit, sorte de conte philosophique moderne, est en réalité une allégorie de ce que sont devenues les anciennes républiques de l'URSS après la disparition de celle-ci au début des années 90 : quelque part entre Kafka et « Zazie dans le métro », on est passé d'un totalitarisme à l'autre, de la nomenklatura communiste à la mafia et au bling-bling de la corruption et de l'argent facile. Les élites intellectuelles, symbolisées par la très belle figure d'un vieux scientifique spécialiste des pingouins, sont méprisées et vivent dans la misère, les fonctionnaires se débrouillent comme ils peuvent, et Victor, héros du roman, essaye avec plus ou moins de bonheur de se créer une petite famille avant de partir pour l'Antarctique !

Et le pingouin dans tout ça ? Son pelage noir et blanc fait penser au smoking des parvenus, ses poumons fragiles symbolisent la maladie de cette société qui court à sa perte, et sa présence improbable illustre tout l'absurde de ce monde. Il est cependant le personnage central, le catalyseur sans qui rien ne serait arrivé.

«La Métamorphose» de Franz Kafka – 1915.

16 présents, et tous ont apprécié le style de Kafka, art du récit et de la composition parfois théâtrale, économie de moyens, sobriété, pas un mot de trop. Celles et ceux qui ont lu quelques unes des « Autres Nouvelles » qui font suite à « La Métamorphose » les ont également appréciées.

Pour ce qui est du fond, les avis sont plus partagés, « La Métamorphose » est certes un récit qui met mal à l'aise ! Atmosphère pesante et angoissante d'un récit expressionniste et fantastique, par delà un humour qui justifie le mot de Boris Vian (« L'humour est la politesse du désespoir »).

Ce sont les sentiments de culpabilité, d'exclusion, de rejet et d'horreur absurde qui dominent. Comment peut-on si peu s'aimer ? Comment peut-on se laisser mourir de faim, dans une sorte de lent suicide ?

Le rapport conflictuel au père est bien sûr la première réponse, la terrible« Lettre au Père », que Kafka rédigea réellement mais n'envoya jamais, l'indique explicitement. Et aussi l'ensemble de la famille : la dégradation des rapports avec sa sœur Grete accompagne la chute de Gregor dans une abjection de plus en plus ignoble ; et l'éclosion finale de Grete, autre métamorphose positive cette fois, semble indiquer qu'il fallait que quelqu'un meure pour que quelqu'un advienne à la vie.

Il y a également l'aliénation face au monde du travail, de l'entreprise et de la modernité, la maladie (Kafka est mort de la tuberculose, dont les difficultés à respirer et à se déplacer de G. Samsa métamorphosé en cancrelat sont la représentation).

Et enfin - peut-être surtout – l'aliénation dans la solitude et l'incommunicabilité, la peur de ne pas être suffisamment aimé qui pousse à assumer toute la vie matérielle de la famille, reflet du perfectionnisme extrême de Kafka l'artiste, doutant jusqu'à la fin de son talent et de son avenir d'écrivain, au point de refuser la publication de la plupart de ses œuvres. Par bonheur, son ami Max Brod a tout sauvé !

Tous ces éléments font de « La Métamorphose » un récit auto-biographique, ce que confirment la proximité phonétique Samsa-Kafka, ainsi que l'initiale K du héros du « Procès » et du « Château ».

Vie et œuvre de Kafka se confondent dans un combat perdu d'avance contre l'angoisse universelle face au monde moderne.

Note du rédacteur (François) :

Difficile pour moi de rester objectif, tant je me sens proche de Kafka.

Je le considère comme l'un des plus grands écrivains de la première moitié du XXème siècle, et je ne suis pas le seul : preuve en sont les innombrables interprétations – marxistes, freudiennes, structuralistes, expressionnistes, existentialistes, post-modernes, etc. - dont son œuvre a fait l'objet, en particulier « La Métamorphose » et « Le Procès ».

Citons entre autres Hannah Arendt, Albert Camus, Vladimir Nabokov, et récemment Bernard Lahire.

« La Porte » de Magda Szabo, 1987 - trad. française 2003 - éd. Viviane Hamy - (Café littéraire du 22 janvier)

Nous étions 14 pour ce premier café littéraire 2014, consacré à « La Porte » de l'auteure hongroise Magda Szabo. Bienvenue à Catherine, Philippe et Thierry, nouveaux dans notre petit groupe.

La première impression est que l'on rentre dans ce récit petit à petit, que ce breuvage fort se déguste par petites gorgées, qu'il faut un temps pour se mettre dans cette atmosphère bien particulière.

Toutes et tous ont été fascinés par le personnage d'Emerance, à la fois antipathique et aimée de tout le monde, y compris chats et chien. Belle âme et contre-héroïne, terriblement traumatisée dans sa jeunesse et dotée d'une force de caractère et d'un sens du devoir peu communs, c'est elle, qui ne sait pas lire mais exerce un « vrai » métier, qui prend le pouvoir sur sa patronne, intellectuelle écrivaine qui ne trouve que difficilement le succès et finit par trahir les valeurs humaines élémentaires pour un peu de gloire illusoire.

Emerance incarne l'ouvrière modèle, au-delà du stakhanovisme : bon sens paysan, caractère rude, jamais malade, elle est la voix du peuple, a sauvé indifféremment juifs, russes et allemands pendant la guerre, même si l'origine de ses biens reste douteuse.

La domination de la fille-du-peuple-travailleuse-manuelle sur la femme intellectuelle est sans doute une allégorie de la Hongrie soviétique, « patrie des travailleurs », mais les meubles rongés de l'intérieur par les vers désignent aussi le pourrissement et la chute probable d'un régime opaque et fermé – d'où la métaphore de la porte. Et la négation du vivre-ensemble portée par Emerance est la conséquence du sur-développement d'une assistance d'État omni-présente incarnée par le lieutenant-colonel.

Quelques-un(e)s ont trouvé ce récit sans consistance, caricature invraisemblable, personnages peu crédibles, manque d'humour. Il n'en reste pas moins une profonde réflexion sur la fin de vie (Emerance sale et malade, abandonnée) et, pour les amateurs de psychanalyse, une utilisation fine de quelques motifs archétypaux tels que le feu et l'enfermement. On pense parfois à Fritz Lang et Alfred Hitchcock.

« Elle ne croyait pas au Paradis, elle croyait à l'instant. »

« Vers l'autre Flamme » de Panaït Istrati, 1929 – trad. française 1987 – Folio - (Café littéraire du 19 février)

12 participants à ce café littéraire consacré à une œuvre surprenante, à la fois récit de voyage (voir carte jointe, merci Jean-Jacques), essai politique, violente diatribe contre le détournement de l'idéal communiste par la bureaucratie et le corruption, et aussi par moments texte plein de poésie et d'humour.

Invité en URSS à l'occasion du dixième anniversaire de la révolution d'octobre, Panaït Istrati, travailleur manuel avant d'être un intellectuel reconnu dans toute l'Europe, perd peu à peu ses illusions sur la « patrie des travailleurs ». Le doute s'installe vite, à l'occasion de nombreuses rencontres avec toutes sortes de gens, du militant sincère mis à l'écart (Victor Serge) à l'apparatchik profiteur.

Mélange d'enthousiasme et de désillusion, entrecoupé de très beaux « morceaux de bravoure » qui rappellent qu'Istrati est un vrai écrivain, ce texte écrit à plusieurs mains peut malgré tout ouvrir la voie à l'engagement militant et surtout à la compréhension de certains échecs. Persuadé que l'idée de la révolution est bonne, que ce sont des hommes qui l'ont pervertie, il fallait un certain courage à Istrati pour dénoncer dès 1929 la dérive du bolchevisme et le début du culte de la personnalité dont Staline sera la sanglante figure. C'est seulement beaucoup plus tard (« Retour d'URSS », 1936) que Gide sera l'un des premiers à produire un témoignage objectif sur ce régime totalitaire.

L'affaire Roussakov, décrite longuement, est un exemple de l'injustice et de l'absurdité criminelle d'un système aveugle reposant sur la jalousie et la dénonciation. « Toute organisation ne profite et ne profitera jamais qu'aux organisateurs », et Istrati ajoute : « Je suis l'opposant éternel ».

Remarque toujours d'actualité...

«Le Livre du Rire et de l'Oubli» de Milan Kundera – 1978 - trad. française 1979 – Gallimard - (Café littéraire du 26 mars)

Nous étions 16 participants, ce qui est sans doute un maximum pour pouvoir échanger dans de bonnes conditions ; malgré le brouhaha qui régnait ce jour-là à la Cave, chacune et chacun a pu exprimer ses impressions sur ce petit opus de Milan Kundera.

Certain(e)s parmi nous ont eu du mal à aller jusqu'au bout de ces 340 pages, déconcertés par la construction inhabituelle de ce texte, fait de sept parties (obsession du chiffre sept ?), apparemment indépendantes, qui forment en réalité un ensemble cohérent. « Tout ce livre est un roman en forme de variations » nous explique l'auteur (page 254 de l'édition Folio), et la référence à la musique est bien présente.

Qui dit variations, dit thème ; le thème est ici le Printemps de Prague (1968) et la terrible répression en août par les blindés soviétiques. Chacune des sept parties raconte une réponse possible à cet événement central, mêlant grande histoire et vie privée. Dès les premières pages, la manipulation de l'image et de l'Histoire par le pouvoir soviétique est dénoncée avec force. Le rire et l'oubli apparaissent comme deux manières de surmonter ces traumatismes, éros et thanatos étant les fils conducteurs qui courent à travers toute l'oeuvre et lui donnent une dimension qui dépasse le cadre de la seule Tchécoslovaquie.

Le passage décrivant la maladie du père a été particulièrement apprécié (référence à Christian Bobin).

Style plein d'humour malgré quelques longueurs, sens aigu de l'absurde tombant parfois dans la philosophie facile, trop touffu et donc difficile à synthétiser, ce texte un peu désuet – mal vieilli ? - rend bien compte de ce qu'était l'atmosphère au delà du Rideau de Fer dans les années 70, et particulièrement dans une Tchécoslovaquie résistante et riche en productions culturelles : Vaclav Havel, Milos Forman, etc. Il s'inscrit donc bien dans notre cycle « littérature des pays d'Europe centrale et orientale », où la période soviétique a laissé des traces douloureuses et indélébiles. Chaque ouvrage choisi en témoigne.

«Les Neiges bleues» de Piotr Bednarski – 1996 – trad. 2004, édition Autrement - (Café littéraire du 16 avril)

16 participants, toutes et tous émus par la simplicité et la densité de ce petit livre.

Encore des victimes de la guerre (nous sommes en 1940) et du bolchévisme, cette fois sous sa forme la plus extrême, le stalinisme, la déportation et le goulag.

Deux personnages principaux animent ce récit largement autobiographique : le narrateur – c'est à dire l'auteur alors âgé de 6 ans –, et sa mère, femme d'une grande beauté – beauté intérieure rayonnante et pas seulement physique, ce qui lui procure quelques passe-droits - , avec laquelle il entretient une relation simple et pure.

Déportés en Sibérie, dans un monde fait de dénonciations et de misère autant morale que physique, le petit Petia et sa mère parviennent à conserver une certaine joie de vivre, malgré la faim, le froid et la privation de liberté. L'innocence et la beauté sont plus fortes que la cruauté et le malheur, même si l'horreur finit parfois par brouiller le regard poétique de l'enfant.

Le point de vue d'un enfant intelligent sur la dureté absolue de ce monde d'adultes, regard sans jugement ni apitoiement, plein d'espoir et de petits bonheurs (le pull marin !), apporte à ce récit une dimension positive, faite de résistance et de résilience, à la différence d'autres témoignages sur le monde concentrationnaire ; on pense évidemment à Primo Lévi, et aussi plus près de nous aux enfants syriens, irakiens, etc.

Même si le style peut paraître parfois affecté et trop plein de métaphores, la construction en courts chapitres, dont chacun constitue une petite nouvelle en soi dans l'environnement de ce village sibérien pendant la guerre, renforce le contraste entre d'une part des jeux d'enfant avec un côté « club des cinq » et la vie amoureuse de sa mère, et d'autre part une société où la plupart des hommes sont invalides de guerre, où suicides et meurtres sont quotidiens.

Dernière remarque : le sentiment de culpabilité typiquement judéo-chrétien, l'intitulé des trois derniers chapitres (la prière, l'amour, Job), bref la forte présence de références chrétiennes a empêché quelques uns d'entre nous d'adhérer totalement à cet émouvant récit.

«La Machine Tchekhov» de Matei Visniec – 2000 – éditions Lansman - (Café littéraire du 21 mai)

11 présents, qui tous ont souligné le double handicap que subit ce texte de Matei Visniec, auteur roumain qui a choisi de s'établir en France (comme Ionesco et beaucoup d'autres), et a souvent été joué au Festival d'Avignon.

Tout d'abord, difficulté à lire une pièce de théâtre, en principe destinée à être représentée. Mais la qualité du texte, la vivacité des dialogues et la truculence des personnages stimulent l'imagination du lecteur qui peut construire sa propre mise en scène, son propre décor par une lecture « active ».

Ensuite, les nombreuses références à l'oeuvre de Tchekhov : faut-il la connaître par cœur pour apprécier « La Machine » ? Question rendue encore plus difficile par les nombreux noms et pseudonymes que porte chaque personnage russe. « On s'y perd », et seul Tchekhov sur son lit de mort semble pouvoir s'y retrouver ! Mais Visniec nous donne envie de relire et de revoir ces chefs d'oeuvre dont la modernité reste étonnante.

Au delà de ces quelques réserves, beaucoup de commentaires positifs :

Concernant la construction de cette pièce, on retrouve ce que certains critiques ont appelé « le fusil de Tchékhov », c'est à dire le fait que tout détail, tout objet apparaissant au début n'est pas là par hasard, mais aura un rôle dans le déroulement de l'action (ici, le crachoir).

Le titre (« La Machine ») indique bien que les personnages sont broyés à la fois par leur situation familiale et sociale, et par la grande Histoire : « C'est quoi, l'âme slave ? ». À souligner la distanciation de ces personnages vis à vis de leur propre vie, on croirait parfois qu'ils se regardent vivre, comme sous le regard du médecin Tchekhov, qui montre et ne juge pas. On retrouve ce fameux dialogue médecin / patient.

Enfin, Visniec pose la question du temps, thème omniprésent chez Tchekhov. Qu'est-ce que ce présent coincé entre un passé vu comme un âge d'or, et un futur fantasmé comme une terre promise ? La répétition de moments privilégiés, par des mots, des attitudes, des souvenirs, suffit-elle à abolir le temps ?

Si Visniec est à nouveau monté au Festival, il ne faudra pas le rater !

« Niki, l'histoire d'un chien » de Tibor Déry – 1955 – Traduction française : Circé poche - (Café littéraire du 18 juin)

14 participants à ce dernier café littéraire du cycle « écrivains des ex-pays de l'est », qui s'est terminé par un fort sympathique repas au Zinzolin.

Le chien Niki est loin d'avoir fait l'unanimité ! Texte court et reposant, parfait pour terminer l'année, Niki apporte un peu de gaieté dans un monde kafkaïen, celui de la Hongrie de l'ère soviétique des années cinquante : pouvoir corrompu, hommes d'État ridicules et nuisibles, bureaucratie aveugle qui nomme Ancsa (le maître de Niki) sans tenir compte de ses compétences, arrestations arbitraires, etc. Les rues sont rebaptisées au fur et à mesure des changements de régime, atmosphère étouffante de la ville à laquelle s'oppose une description flamboyante de la nature.

Nous avons évidemment à faire à une allégorie critique du régime soviétique, l'histoire de ce chien nous apprend plein de choses sur la psychologie humaine avec beaucoup de finesse. Le « point de vue de Sirius » est toujours un poste d'observation révélateur.

Mais cet exercice a ses limites : ne risque-t-on pas de céder à un anthropomorphisme facile ? Ne tombe-t-on pas dans le piège du « tire-larmes » ? D'autant plus que la fin – le mari revient, le chien meurt – peut sembler digne du pire mélo !

Date de dernière mise à jour : 07/05/2017